La localité d’Eringeti située en groupement Bambuba-Kisiki (territoire de Beni), au Nord-Kivu fait face à une pression démographique, due au déplacement massif des populations environnantes qui fuient leurs villages naturels craignant les atrocités rebelles des Forces Démocratiques et Alliés (ADF). Concentrées à Eringeti, ces populations peinent à s’adapter aux modes de vie de ce milieu. N’ ayant pas des moyens pour subvenir à leurs besoins, elles se livrent aux vols et exploitations irrégulières des champs des tiers.
C’est dans ce contexte que les conflits fonciers prennent place dans cette zone plus au moins stable sur le plan sécuritaire depuis décembre 2022 jusqu’à ce premier trimestre de 2023. Ces conflits illustrent en ce sens les importants défis qui demeurent pour la consolidation de la paix et la résolution pacifique des conflits dans des zones qui sont déjà sous contrôle des autorités étatiques. S’ils portent principalement sur des enjeux fonciers, économiques et de pouvoir, le nœud commun à tous ces conflits réside dans un problème structurel de gouvernance dans le chef des institutions congolaises.
Ces conflits fonciers qui déchirent les acteurs du pouvoir coutumier, les services étatiques et les composantes de la société civile à Eringeti, illustrent la nature particulièrement conflictuelle de la relation entre le pouvoir coutumier et le pouvoir étatique dans la région qui se disputent les prérogatives du pouvoir et les bénéfices y afférents liés au foncier. A titre exemplatif, certains chefs coutumiers en connivence avec les acteurs étatiques œuvrant dans le foncier vendent quelques espaces publics, à l’instar des cimetières, les stades de football, les marchés, les avenues, les terrains des jeux aux particuliers.
De l’impact de l’insécurité sur le pouvoir des institutions publiques
« Le réseau d’alerte précoce et réponse rapide regroupé en comité local de protection sur place à Eringeti », rapporte au Forum de Paix, Bureau de Beni, qu’un autre conflit majeur dans la zone qui oppose les chefs coutumiers et les agriculteurs à l’Institut congolais de conservation de la nature (ICCN) autour des limites du Parc national des Virunga en Territoire de Beni.
Ce conflit entre une institution publique et populations ainsi qu’autorités coutumières locales, illustre les difficultés auxquelles les institutions étatiques sont confrontées pour s’imposer vis-à-vis des populations et des autorités coutumières locales. Ce conflit démontre la conflictualité inhérente à la dualité entre institutions coutumières et institutions étatiques administratives, chacune défendant ses propres intérêts. Il révèle encore combien certaines institutions étatiques ont été affaiblies par les guerres, les difficultés et résistances auxquelles elles font face pour leur reconstruction.
De la dimension identitaire des conflits
En effet, d’autres conflits dont la dimension identitaire est prégnante, prennent place dans la localité d’Eringeti en territoire de Beni. Il s’agit tout d’abord d’un conflit foncier opposant la population pygmée aux agriculteurs Mbuba et Nande. Les seconds accusent les premiers des voleurs de leurs cultures et terres en usant de menaces, voire de violences.
Par ailleurs, les Pygmées, déplacés internes tentent de s’adapter aux profonds bouleversements de leur mode de vie de chasseurs-cueilleurs nomades à cause de la guerre des rebelles des Forces démocratiques et alliés (ADF). Le second conflit renvoie à une tension historique entre les (ethnies) Nande du Nord (Nande Kaïnama) et les Nande du Sud, sur fond d’inégalités politiques et économiques entre les deux groupes.
Ainsi, la compréhension des dynamiques des conflits dans le territoire de Beni, se résume en ces quatre mots : « le pouvoir, la terre, l’identité et l’insécurité ». Le pouvoir fait référence au mode de gouvernance patrimonial et clientéliste qui vide les institutions congolaises locales de leur substance, rend leur fonctionnement particulièrement opaque et exclut de larges pans de la population des instances de décision.
La terre désigne l’insécurité foncière structurelle dans laquelle se trouve l’ensemble de la paysannerie de la région d’Eringeti du fait de la dualité existant entre la règle coutumière et la loi foncière et des dysfonctionnements internes aux institutions foncières causé par le mode de gouvernance patrimonial.
Les dynamiques identitaires négatives renvoient le plus souvent au discours de l’autochtonie, qui ne reconnaît que les droits des « autochtones » (les soi-disant « premiers habitants d’un territoire »), stigmatisent les « étrangers » (même lorsqu’il s’agit de Congolais venus d’autres provinces comme l’Ituri par exemple) et visent à remettre en cause leurs droits (sociaux, économiques fonciers, politiques, etc.).
Le contexte de violence et d’insécurité qui dure depuis une décennie à Beni ville et territoire renforce et nourrit les sentiments de peur et de rejet, et par là les dynamiques de stigmatisation identitaire. Le recours à la violence constitue un instrument de contrôle politique et économique dans la région de Beni. Il insécurise les populations locales dans leur accès aux moyens de subsistance (champs, mines et autres) ainsi qu’au niveau de leur intégrité physique.
Le rôle du Forum de Paix dans la recherche des pistes des solutions mutuellement avantageuses aux parties prenantes
En réponse aux alertes du réseau d’alerte précoce et réponse rapide regroupé en « comité local de protection) », le Forum de Paix une ONG de paix et de développement Bureau de Beni, tente de réconcilier les parties prenantes aux conflits à partir des dialogues de paix.
C’est dans ce sens qu’en date du samedi 11 Mars 2023, cette organisation a réunis les autorités locales, les différentes communautés ethniques, les organisations de la société civile, les services du cadastre et titres immobiliers, autours de la thématique : « conflits fonciers à Eringeti et environs ». L’objectif pour le Forum de Paix était d’obtenir un engagement des parties prenantes pour trouver une solution pacifique aux conflits qui les opposent ainsi bâtir la paix durable dans la région ;
Cette ONG se veut également jeter des bases pour une perspective des actions à mener, des réflexions positives à base communautaire pour une transformation durable des conflits et conscientiser ainsi les acteurs de la société civile locale afin que ces derniers puissent réaliser en permanence le travail de la documentation des conflits et de préparer les communautés à la médiation.
Le Forum de Paix facilite la signature d’un acte d’engament entre les parties en conflit à Eringeti
A l’issu de cette activité, les participants, 37 (Trente-Sept) personnes au total se sont convenues sur la résolution des conflits dans leur zone. Ils ont signés un acte d’engagement en ces termes :
« Nous, membres de la communauté d’Eringeti, représentants des différentes ethnies, autorités politico administratives, société civile, chefs coutumiers, réunis ce samedi 11 MARS 2023 dans un dialogue de paix sous la facilitation du Forum de Paix, nous engageons de résoudre pacifiquement les conflits communautaires, au nom de la paix », ont-ils avancés.
Dans ce même cadre, un comité composé de 7 (Sept) membres chargé d’animer un cadre des concertations permanentes en matière foncière a été mis en place. Les autorités étatiques locales, coutumières, les membres de la société civile et des communautés ethniques y sont membres. Il a comme devoir de trouver des pistes de solutions aux conflits de la zone.
Cependant, au cours de cette assise, plusieurs recommandations ont été formulées à différents niveau : Au chefs coutumiers d’arrêter de se contenter de 10% qu’on leurs réservent lors de la cession de terre, sans se rassurer de l’authenticité des documents parcellaires lors des ventes ; au service de cadastre et titre immobilier d’éviter le mauvais lotissement, morcèlement et de veiller à réserver des espaces publics notamment les lieux où les générations futures pourront construire des écoles, stades des football, églises… ; au Forum de Paix, d’associer tous (les chefs des villages, coutumiers, les auteurs des conflits dans les dialogues à venir) afin de résoudre pacifiquement les conflits fonciers.
Service de Communication
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